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Dépêche 25/03 
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"Le niet du gouvernement est inacceptable"

Interview de François Chérèque à Libération

La journée de demain pourrait marquer un tournant important dans les relations du gouvernement avec les syndicats. Non pas en raison de la conférence pour l'emploi qui se tient au ministère des Affaires sociales. Mais parce qu'alors que Jean-Pierre Raffarin «envisage», dans les Echos d'aujourd'hui, une session extraordinaire du Parlement en juillet pour boucler la réforme des retraites, une nouvelle réunion du groupe de travail gouvernement-patronat-syndicats risque de provoquer la rupture des négociations. Vendredi, le dernier conclave a déjà failli tourner court. La CFDT, qui défend l'idée d'une «retraite à la carte» permettant de partir avant 60 ans au bout de 40 annuités de cotisation, s'est heurtée à un refus du gouvernement, soutenu par FO qui réclame 37 ans et demi pour tous mais pas de départs avant 60 ans. Le secrétaire général de la CFDT, François Chérèque, juge que la discussion est à deux doigts du clash.

Pourquoi la réunion du groupe de travail, vendredi soir, a-t-elle si mal tourné ?

Lors de cette réunion, la CFDT a exigé que la discussion aborde le niveau de retraite garanti et le droit à la retraite dès 40 ans de cotisation, même avant 60 ans. Le ministère s'est refusé à s'engager sur une quelconque proposition sur notre première exigence. Il a carrément annoncé qu'il refusait la seconde, arguant de son coût trop élevé, avec le soutien de FO qui s'est désolidarisé de cette revendication. Elle figure pourtant en bonne place de la plate-forme intersyndicale signée le 6 janvier dernier. Le niet du gouvernement à ces deux exigences est inacceptable car ce sont à nos yeux des questions décisives dans la réforme à construire.

Les syndicats se réunissent ce matin pour décider d'une journée d'action. La CFDT va-t-elle, elle aussi, appeler à la mobilisation ?

Nous allons poser la question de confiance à nos partenaires pour vérifier que tous défendent encore la déclaration que nous avons paraphée ensemble. Si certains s'assoient sur leur signature, ils prendront leurs responsabilités. Pour la CFDT, ce texte commun est notre feuille de route à tous.

Vous croyez encore à la réussite de la négociation ?

Si le ministère ne fait pas de nouvelles propositions dès demain, la CFDT, qui réunit son bureau national mercredi et jeudi, prendra les décisions qui s'imposent. Il faudra alors faire pression sur le gouvernement pour surmonter ces deux blocages. Il n'y a pas d'alternative à la négociation, sauf à laisser les politiques décider tout seuls de la réforme et à renoncer à nos objectifs. Ce n'est pas notre stratégie.

La réforme des retraites irait dans le mur...

Nous n'en sommes pas là. Contrairement à ce que certains ont prétendu, le groupe de travail était jusqu'à présent dans une démarche de travail positive. Il a avancé sur un texte énonçant, pour la future loi, les principes de la réforme, en confrontant les propositions du gouvernement avec celles de la plate-forme intersyndicale. Mais nous voyons bien qu'en exigeant d'entrer dans le vif du sujet, c'est-à-dire dans la traduction concrète de ces principes, il y a des sujets qui peuvent fâcher. La CFDT veut soutenir la réforme, à condition qu'elle réponde à ses principales exigences.

Alors que les fonctionnaires se sentent déjà dans le collimateur sur les retraites, le gouvernement agite des menaces sur leurs effectifs et leurs salaires. Maladresse ou provocation ?

Cela va faire bientôt un an que ce gouvernement est en place. On ne me fera pas croire qu'il s'agit d'une maladresse. Ce n'est pas la première fois qu'il agit ainsi. Jeudi, le ministre de la Fonction publique a annoncé que 2003 serait une année blanche pour les salaires, et il a expliqué que, pour gagner plus, il faudrait que les fonctionnaires acceptent de voir réduire leurs effectifs. Adapter le régime de pensions est un sujet assez délicat pour ne pas ajouter d'autres motifs de mécontentement.

Le gouvernement agiterait un chiffon rouge sur les effectifs pour mieux détourner l'attention de la réforme des retraites ?

Ce ne serait pas la première fois que l'on voit un ministre dire une chose pour préparer l'opinion, en attendant le démenti officiel du gouvernement. Ce gouvernement a fait une erreur fondamentale de diagnostic en arrivant au pouvoir : il a décidé de baisser les impôts, ce qui a seulement permis aux foyers les plus aisés d'épargner davantage, au lieu de renforcer ses moyens pour la politique de l'emploi. Aujourd'hui démuni, il cherche à faire des économies là où c'est le plus simple, c'est-à-dire sur les effectifs des fonctionnaires. Son entêtement sur la baisse des impôts est inefficace pour l'emploi alors que la croissance est en berne. Et il est en train de provoquer un conflit avec les agents de l'Etat. Nous nous posons donc la question : le gouvernement ne cherche-t-il pas un conflit global, qui lui permette de passer en force sur les retraites ? Pourquoi a-t-il choisi d'agiter maintenant ces menaces ? Qui a intérêt à faire défiler les fonctionnaires dans la rue avec des pancartes «37 ans et demi» ? Ceux qui, comme la CFDT, veulent une vraie réforme des retraites et une vraie réforme de l'Etat ? Ou ceux qui ne veulent rien changer et s'opposent à ces réformes destinées à garantir les retraites et à améliorer les services publics ?

A en croire votre homologue de la CGT, Bernard Thibault, l'affrontement est inévitable...

La balle est dans le camp du gouvernement. S'il persiste, il prendra le risque du conflit. La question essentielle que se pose chaque Français est : «Combien toucherai-je demain quand viendra mon tour d'être à la retraite ?» Si le gouvernement imagine réussir la réforme sans y répondre, il se trompe. S'il refuse que ceux qui ont commencé à travailler tôt puissent partir plus tôt, c'est qu'il fait l'impasse sur la justice sociale.

Paris, le 17 mars 2003