Quoi de neuf
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Analyse des propositions
Le rapport 2003 correspond à peu près à ce quavaient laissé transparaître les propos et le comportement de ses rapporteurs. Dès lorigine du rapport il leur était reproché de partir avec des idées préconçues, un schéma préétabli et des conclusions quasiment arrêtées. Ils sen défendaient. Or toutes les réunions et conférences nauront fait, paraît-il, que les conforter dans leurs idées alors quils nont opposé pour seules répliques aux riches débats des agents que des formules à lemporte pièce, des borborygmes ou des gesticulations, grimaces ou moues de dédain et de suffisance. Autrement dit, sils ont beaucoup écouté, ils semblent avoir peu entendu et surtout beaucoup déformé à en lire leur rapport. Ce dernier est peu convaincant ; laffirmation, lapproximation, la caricature nayant jamais tenu lieu de démonstration.
Une pseudo concertation
Quil sagisse
des règles du jeu affichées au départ, du diagnostic, du dialogue, de la participation
des agents, de la concertation avant les décisions, tout paraît en trompe
lil.
Les règles du jeu adoptées par les ministres sont une entourloupe. Ils ont fixé le 12
avril 1999 des règles du jeu :
Début septembre 1999, ils
demandaient aux agents de réfléchir sur cinq thèmes : rapprocher lassiette
du recouvrement, réduire les cloisonnements, améliorer laccessibilité, rénover
linformatique, simplifier les textes et procédures.
Beaucoup dagents y ont cru, ont joué le jeu et ont fait de nombreuses propositions.
Les rapporteurs les jugent fort intéressantes. Or non seulement il nen est pas tenu
compte, mais encore les rapporteurs soulignent-ils de façon quelque peu désinvolte que
les agents nont rien compris au " problème " et quen
toute hypothèse seuls eux ont la solution (cf p59 du rapport dernier paragraphe). Ainsi
par une suite de terrorisme intellectuel et sémantique ils se livrent à un dévoiement
des directives données par le ministre, on nose pas écrire (quoique !) avec
la complicité de celui-ci. Deux exemples illustrent à lévidence ce
phénomène :
Les agents ont ainsi été
trompés au moins deux fois, car à aucun moment, si ce nest de manière incidente,
le dialogue na porté au fond sur lAFU et la suppression de la distinction
" assiette-recouvrement ".
La réflexion collective des agents jugée " riche ",
" pertinente " sur les bases posées par les ministres est ainsi
évacuée et, de surcroît, les rapporteurs ne proposent quun seul scénario. Tout
cela relève de larnaque ou de lentourloupe et est indigne de la part de
fonctionnaires dautorité.
Le simple bon sens devant le bouleversement de lorganisation des services telle que
les rapporteurs le préconisent aurait pu laisser croire que le ministre engagerait une
nouvelle réflexion à partir dun rapport aussi fermé, ou demanderait au moins des
contre expertises, ou encore interrogerait les hiérarchies et les agents. Il nen
sera rien. Le ministre prendra sa décision à la fin du mois de janvier, certes après
avoir reçu à la va vite les fédérations syndicales, mais quasiment sur les seules
bases du rapport de la mission 2003.
Autrement dit, le ministre
va décider, après une concertation bâclée, dune réforme de grande ampleur. Tout
cela nest pas sérieux, surtout venant dun ministre ouvert selon lui au
dialogue social. Pourquoi vouloir aller si vite dautant que les rapporteurs
reconnaissent que le système actuel marche plutôt bien. Pourquoi ne pas prendre un
délai de réflexion et de dialogue supplémentaire. Lexemple des réformes
récentes (droit de bail, taxe sur les logements vacants
) montre que les ministres
auraient mieux fait découter les organisations syndicales qui les avaient alertés
sur les conséquences catastrophiques de ces réformes.
Or les propositions du rapport de la mission 2003 sont de la même veine et leur mise en
uvre ne peut aboutir quaux mêmes résultats, car, si la méthode choisie
correspond bien à une pseudo concertation, lanalyse des rapporteurs, et cest
beaucoup plus grave, est insignifiante.
Une analyse insignifiante
Lanalyse est ridicule. Elle est peu honnête, caricaturale et biaisée.
Tout ce qui est excessif
est insignifiant. A trop vouloir prouver, les rapporteurs sombrent dans
lapproximation et le ridicule au point de faire dire à un usager dune commune
rurale pour conclure un argumentaire sur laccessibilité des réseaux :
" on va à la Trésorerie plutôt quau tabac, parce quil y a une
Trésorerie au village, mais pas de tabac ". En quoi un tel appel au bon sens
populaire condamne-t-il, comme veulent le faire croire les rapporteurs, le réseau de
proximité que constitue le réseau du Trésor Public ? Pourquoi nont-ils pas
poursuivi le raisonnement en demandant au même usager sil était prêt à faire 20
km pour obtenir pour obtenir des timbres fiscaux. On la fait à la sortie dune
perception rurale. Sur 10 usagers interrogés, ont a obtenu 10 réponses négatives. Pour
caricaturer à notre tour la démarche de la mission 2003, on pourrait conclure que voilà
bien la preuve absolue quil faut maintenir le réseau rural.
Les 14 pages du diagnostic des usagers (p24 à 38 du rapport) relèvent du simple
bavardage. Il est fait état denquêtes, de sondages, danalyses quantitatives
et qualitatives
Le recueil de réflexions éparses ou de boutades na jamais
constitué une démarche scientifique encore moins quand dans la suite du raisonnement on
extraie telle ou telle citation, sans trop savoir pourquoi celle-ci et pas une autre, en
appui de lanalyse. On peut inverser sans difficulté les arguments.
On peut également faire des schémas très compliqués des relations entre les services,
les mettre sous les yeux des usagers et on aura forcément la réponse :
" cest très compliqué " (cf p22). Or, on peut refaire le même
schéma dans le cadre des propositions des rapporteurs ; ainsi par exemple, pour
décrire le parcours du redevable contestant lassiette de son imposition au stade du
commandement, à qui doit-il sadresser ? Au centre dappel, au centre
dencaissement, aux unités de base (front office), aux unités spécialisées (back
office), à la cellule recouvrement contentieux ou à son correspondant fiscal unique qui
lorientera vers le bon service ?
Tout cela sent largumentation sollicitée, quand elle nest pas à la limite de la mauvaise foi.
Dans le rapport de la
Sofres (note de synthèse septembre 1999 : " Les français et la
modernisation des services des impôts et du trésor public ") il est indiqué
que les français ont une bonne image des services des impôts et du trésor public,
quils privilégient le contact direct avec eux et que la dichotomie impôts/trésor
public nest pas un problème à leurs yeux (mauvaise chose pour 19%, bonne chose
pour 42%, ni lun ni lautre 34%). Rien de tout cela dans le rapport 2003 ;
il est même précisé quasiment le contraire à la page 27 : " la
dichotomie entre le trésor public et les services fiscaux laisse indifférente près de
la moitié des contribuables
en tout état de cause plus de la moitié des
particuliers estiment regrettable la séparation entre les deux réseaux ".
Sagit-il dune erreur de commentaire des rapporteurs, dune analyse
malhonnête ou dun parti pris systématique pour étayer, coûte que coûte, leur
démonstration.
De même, dans le rapport Ipsos du 4 août 1999 (" Les français et les
réformes du MEFI "), il est indiqué que 60% demandent également des conseils
plutôt que le règlement des problèmes, que les français sont moins convaincus par les
centres dappel, que les particuliers préfèrent se déplacer. Or le rapport
minimise ces différents arguments qui plaideraient en faveur du maintien dun
service de proximité ou dun interlocuteur fiscal unique conçu comme un aiguilleur.
Le raisonnement est donc indélicat, mais lanalyse est aussi caricaturale.
Sagissant du
diagnostic interne (p39 à 50), personne ne nie quil y a des dysfonctionnements.
Mais 98% de ceux-ci tiennent à labsence de compte unique, à linsuffisance de
linterconnexion entre les fichiers informatiques ou encore à la rigidité du
partage des compétences entre les services des impôts et du trésor, même pour les
questions les plus simples.
Les expériences qui vont dans le sens souhaité sont écartées de manière méprisante.
Ainsi, les rapporteurs parlent de la " bonne volonté " du TPG et DSF
dans le cadre de lexpérience menée récemment dans le Rhône alors que les
intéressés (hiérarchie, agents) estiment que pour une expérience menée sans
publicité, sans grand budget (contrairement à la mission 2003) cest une réussite
dès lors qu elle peut résoudre le problème des réclamations de plus en plus
nombreuses, notamment sur la taxe dhabitation. Les rapporteurs craignent peut-être
que lutilisation du NIR accélère linterconnexion des fichiers et que les
initiatives prises en commun entre les impôts et le trésor depuis deux à trois ans
portent leurs fruits et rendent caduques leur proposition.
De même encore, lanalyse est biaisée ainsi que latteste le recours aux
résultats de la mission danalyse comparative des administrations fiscales. On met
en avant les coûts respectifs. On compare des choses qui ne sont pas comparables alors
que les rapporteurs de cette dernière mission invitent à la plus grande prudence dans
linterprétation des chiffres et des comparaisons. Pourtant leurs chiffres ont été
largement diffusés. Est-ce pour traumatiser les agents, les culpabiliser ? Ainsi
oppose-t-on principalement le coût de gestion observé aux Etat-Unis (0,49%) à celui
enregistré en France (1,60%) alors que le premier ne concerne que le seul Etat fédéral,
limpôt sur le revenu et les cotisations sociales et le second toutes les
impositions (celles des collectivités locales comprises). Or, si lon tient compte
des coûts des URSSAF, le taux tombe à 1,13% en France et si on se limite aux seuls
impôts sur le revenu et cotisations sociales il est inférieur à lunité. De plus,
si lon introduit le taux de recouvrement, ce coût devient largement favorable à la
France dès lors que, ce que les rapporteurs ont oublié de dire, le taux de recouvrement
varie aux Etats-Unis selon les indicateurs pris en compte entre 79,50% et 87,40%.
Une pseudo concertation conjuguée à une analyse insignifiante ne peut conduire quà des propositions inacceptables.
Des propositions inacceptables
Les propositions de la mission 2003 sont inacceptables. En faisant appel à des structures dun autre âge, en jetant à la poubelle un dispositif qui a pourtant fait ses preuves et en ne présentant pas un état financier prévisionnel sérieux de la réforme suggérée, la mission 2003 révèle un état desprit archaïque, un manque dimagination pour répondre aux attentes des ministres et une insuffisante rigueur sur le plan financier, pour le moins surprenante de la part de spécialistes des finances publiques. Que dire de linexistence du volet social, sinon quil apporte une preuve supplémentaire du mépris de ces hauts fonctionnaires pour les personnels.
En résumé, le rapport
2003 propose de créer dans un premier temps des hôtels des impôts des entreprises
(très vite) et dans un deuxième temps des hôtels des impôts des particuliers. Il
subordonne toutefois ces créations à la rénovation du système informatique et ajoute
que cela natteindra son optimum quavec la mise en place de centres
dencaissement, de centres dappels, de cellules de recouvrement contentieux et
de la déclaration pré-imprimée. Le schéma proposé est donc encore plus compliqué que
celui existant. Alors quon a deux services en ligne, on aboutit à une chaîne de
services, certes pour la plupart regroupés, dans un immense
" machin ".
Sept mois de réflexion ont été nécessaires pour aboutir en fin de parcours à la
création dURSSAF impôts, cest-à-dire à un dinosaure où le redevable sera
loin du centre des préoccupations de cette machinerie dont le propre fonctionnement
absorbera lessentiel des énergies. Dautant que la cellule mixte
" interlocuteur fiscal unique " sera alimentée par les différents
services.
En outre, des structures gigantesques sont des plus impersonnelles. Il suffit den
parler avec les chefs dentreprises peu satisfaits de leurs relations avec les
URSSAF. Cela sera même pire dans le schéma 2003, puisque les URSSAF ne gèrent que des
produits de même nature alors que les hôtels des impôts auront à gérer toutes les
impositions dont chacun connaît la diversité et labondance de la réglementation.
Autrement dit, alors que linformatique permet la gestion en ligne de structures éclatées et proches du terrain, les rapporteurs regroupent sur un seul site tous les services dans une organisation ingérable et hypertrophiée.
Des propositions inadaptées
Les rapporteurs jugent la
séparation " ordonnateur-comptable " dépassée en matière de
recettes, mais cest pour mieux la ressusciter. Comme larnaque était trop
évidente ils ont recours à la langue anglaise. En effet, pour atténuer les
inconvénients liés au gigantisme des nouvelles structures préconisées, le rapport 2003
distingue le back office (unités spécialisées) et le front office (unités de base)
entourés dunités supports. Cela revient à recréer le schéma actuel
dorganisation. On débaptise les dénominations des services, on supprime les
sécurités actuelles, on regroupe dans un site unique et on clame que cela ira beaucoup
mieux.
Or on peut légitimement en douter. Les contrôles qui seront mis en uvre seront
quasiment inexistants car on connaît les limites de lautocontrôle. On
sapprête à connaître les mêmes affres que beaucoup de systèmes étrangers qui
sont pourtant donnés en exemple.
Sans faire un " big bang " administratif et dès lors, comme lindique la mission 2003, que le compte unique du redevable sera institué, que les fichiers informatiques seront interconnectés, que le partage des compétences sera revu pour les petits dossiers et que les relations entre les services de la DGI et de la DGCP progresseront à la suite des récentes directives pour travailler ensemble, on peut affirmer que 98% des dysfonctionnements actuels seront supprimés et cela sans bouleversement traumatisant, au moindre coût et tout en dégageant les gains defficacité chers au ministre, permettant ainsi de mieux remplir les missions actuellement délaissées faute de personnel.
Des propositions coûteuses
Par ailleurs, les propositions de la mission 2003 sont fort coûteuses non seulement en termes informatiques mais aussi en termes dinstallations immobilières. Elles ne peuvent se justifier que si en contrepartie des suppressions demplois massives accompagnent la réforme. Or, sur ce dernier sujet les rapporteurs nont pas le courage dassumer les conséquences de leurs propositions et ne donnent aucun chiffre.
En outre, le recours à lavis dun seul cabinet informatique sans contre-expertise est dune extrême légèreté. Lexcès de dramatisation du bogue de lan 2000 a montré larrogance et lincroyable désinvolture de lindustrie informatique pour ne pas donner, dans le cadre dune réforme aussi importante de ladministration fiscale, un blanc seing à un seul consultant.
Conclusion
Le rapport 2003 est totalement fermé. Il ne comporte quun seul scénario accompagné de quelques variantes à la marge. Cest la première fois que lon va voir sengager un ministre, à partir dune seule expertise, dans un bouleversement de lensemble des structures fiscales françaises. Cela est dautant plus invraisemblable et scandaleux quil va le faire à la va-vite parce que le gouvernement veut afficher des réformes (qui dans le fond ne changent rien, mais constituent à lévidence des attentats grossiers contre le Service Public). Tout cela à partir dun rapport dont les propositions ne méritent, au mieux, que dêtre mises au fond dun placard.
Les rapporteurs de la mission 2003 précisent page 21 " disons demblée que notre système de gestion de limpôt fonctionne, et fonctionne même relativement bien pour ce qui concerne sa mission administrative et financière qui est dasseoir limpôt et de le recouvrer ". Leurs propositions, contrairement à ce quils disent, seront loin daméliorer les relations avec le public. Pourquoi dans ces conditions lancer la réforme sur de telles bases ? A moins que le service du public ne constitue quun alibi pour annoncer des suppressions massives demplois et décapiter ainsi le Service Public.